La fois dernière, nous avons découvert Alexia qui travaille principalement pour les musées, cette fois découvrons Nicolas qui s’est spécialisé dans le design centré usagers auprès des bibliothèques. Quel est son parcours ? Comment intègre-t-il les usages dans sa démarche ? C’est le sujet de cette interview !
Peux-tu te présenter ? En quoi consiste ton métier ?
Je m’appelle Nicolas Beudon. Je suis consultant et formateur dans le domaine de la culture. Je travaille principalement avec des bibliothèques publiques que j’accompagne pour les aider à réinventer leur stratégie, les services qu’elles proposent ou bien encore l’aménagement de leurs espaces. Les utilisateurs (ou plutôt « les usagers » comme on dit dans le secteur public) occupent toujours une place centrale dans ma démarche et on pourrait dire que je pratique le design UX de façon sauvage !
Comment en es-tu arrivé là ? Peux-tu décrire ton parcours ?
À la base, je suis bibliothécaire. En 2016, j’ai traduit bénévolement avec d’autres collègues Le Design thinking en bibliothèque, un guide d’IDEO qui m’a fait découvrir leur approche, mais aussi plus largement le design et la notion d’expérience utilisateur. Ça a été une révélation qui a bouleversé ma façon de travailler.
On associe généralement l’UX au design d’interfaces mais en fait les outils et la méthodologie sous-jacente peuvent tout aussi bien s’appliquer à la conception d’organisations, de services ou d’espaces. En 2017, j’ai eu l’occasion de mettre cette philosophie en pratique à Bayeux, pour la création d’une nouvelle médiathèque baptisée Les 7 lieux. Une fois ce projet terminé, j’ai quitté la fonction publique pour devenir freelance.
Comment intègres-tu les usagers dans ta démarche ?
Il y a 2 grandes façons d’intégrer les usagers dans les projets où j’interviens. D’abord, en faisant de la recherche : en menant des entretiens, en faisant des observations, ou en testant des prototypes. Tout cela prend beaucoup de temps et ce sont avant tout les bibliothèques universitaires qui sont demandeuses de ce type d’approche, non seulement parce que ce sont des structures avec beaucoup d’inertie, dont les projets s’inscrivent souvent dans un temps long, mais aussi parce qu’elles appartiennent à un environnement où la recherche est valorisée en soi.
La deuxième option est davantage prisée par les collectivités publiques comme les villes, les communautés de communes ou d’agglomération : il s’agit d’ateliers de co-design où les usagers ne sont pas simplement interrogés et scrutés mais où ils peuvent être actifs et créatifs. Procéder de cette façon permet de recueillir des idées, des envies et des besoins formulés de façon bien plus riche que via des méthodes d’enquête traditionnelles. Cela peut aussi être un moyen de donner du pouvoir au public en l’impliquant dans la conception des services qui lui sont destinés.
Quels outils de recueil d’information auprès des usagers utilises-tu le plus souvent ?
J’aime beaucoup réaliser des observations en contexte, de façon ethnographique. Les gens inventent sans cesse des solutions pour résoudre les petits problèmes du quotidien, quitte à détourner les choses de leur fonction première, et c’est toujours très instructif lorsqu’on arrive à le documenter.
En atelier, j’utilise très souvent les canevas qui permettent d’explorer une question de façon collaborative. Il s’agit en général de grands tableaux composés de rubriques que l’on peut remplir à plusieurs avec des post-it. Parfois, cela prend la forme d’une métaphore visuelle, comme le célèbre speedboat, d’autres fois ce sont des schémas plus abstraits comme le business model canevas (ou le modèle papillon, un outil spécifique à la conception de bibliothèques et de tiers-lieux imaginé par l’architecte Aat Vos, dont je parle dans mon dernier billet de blog.
Quelles sont les 3 compétences (ou soft skills) clés à avoir pour faire ce métier ?
1/ La première chose à laquelle je pense est la curiosité : à partir du moment où l’on s’intéresse à l’UX, il est impossible de rester cantonné à un secteur donné parce qu’une expérience est rarement propre à un seul et unique domaine. Dans une bibliothèque, par exemple, on emprunte des documents, on s’inscrit, on fait la queue, on utilise des automates en libre-service, on travaille sur des tables et des chaises, on assiste à des spectacles, on consulte un catalogue, etc. Pour améliorer tout cela, il peut être intéressant d’observer comment les mêmes expériences se déroulent dans d’autres lieux ou d’autres univers.
2/ La deuxième compétence à laquelle je pense se rapproche de ce qu’on appelle dans les arts martiaux japonais le Shoshin, c’est-à-dire « l’esprit du débutant », la capacité à repartir sans cesse à zéro et à voir les choses d’un œil neuf. Quand on conçoit des services, des lieux, des interfaces, il faut toujours faire un effort pour se rappeler qu’ils doivent être utiles, utilisables et inspirants pour des gens qui ne sont pas des experts comme nous. Mine de rien, adopter ce point de vue du débutant est une véritable ascèse.
3/ Pour terminer, j’ai envie de mentionner la créativité tout simplement, puisque l’essence même de l’UX et d’imaginer des solutions à des problèmes et de trouver des réponses à des besoins.
Visitez le site et le super blog de Nicolas !
Ne trouvez-vous pas intéressant de voir comment Nicolas a utilisé les méthodes centrées sur les usages pour restructurer complètement la médiathèque de Bayeux ? On se trouve assez loin du digital et pourtant tout colle parfaitement avec la démarche de design d’expérience ! Notre second témoignage nous montre que la méthode “UX” peut s’appliquer à tous les domaines. Et vous ? Connaissez-vous des domaines qui utilisent ces méthodes centrées sur l’humain ?
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